mardi 3 août 2010

Une fois n'est pas coutume...

"Quelqu'un a créé la forêt pour que les enfants s'y perdent
Appelons-le Dieu. Appelons-le Grimm le bicéphale.
Il l'a semée d'arbres noueux, irriguée de rivières dont les eaux donnent la vie et la mort, et enveloppée d'un voile de brouillard. Ensuite, il a suspendu au-dessus des arbres, la lune et l'étoile Polaire, car il fallait que les enfants se perdent, mais pas complétement.
Puis il a a lâché les loups.
Leur mission était simple : ils devaient rendre un culte à la lune et lui jouer de la musique comme il convient aux fils de la nuit. Ah ! Et ils devaient aussi manger les enfants.
Sans se presser. Rien n'empêchait qu'ils les dévorent au croisement des chemins, les enfants d'abord, puis le petit panier, mais non sans les avoir auparavant dûment embobinés.
Là où les diables font le trafic des âmes, les loups (et parfois aussi les coyotes) s'amusent à changer la direction des pancartes. Ensuite, ils traversent la forêt, se déguisent et attendent, car c'est plus drôle ainsi. Et aussi parce que leur contrat exige qu'ils laissent le temps au chasseur d'arriver ; le chasseur, cet habile chirurgien capable d'ouvrir des ventres, d'en extirper des grands-mères et de recoudre les loups plein de pierres sans que le patient en ressente la moindre gêne.
C'est ce que Dieu ou Grimm le bicéphale, sans parler d'Andersen, ne voulaient pas malgré tout que les enfants se perdent trop. N'ont-ils pas laissé la lune et l'étoile Polaire allumées ? N'ont-ils pas laissé la porte de l'armoire fermée ?
Ce qu'il cherchaient en réalité, aussi triste que cela paraisse, c'était de les aider à grandir.
Si vous n'êtes pas convaincu, allez donc demander à Bettelheim. Mais vous pouvez vous épargner le voyage : il vous dira que oui. Il vous rappellera que lorsque vous êtes sorti de la forêt de mots que votre père ou votre mère avait dressée autour de vous, juste avant de sombrer dans le sommeil, vous avez pensé : "Moi aussi je peux m'en sortir face au loup. Mon ours en peluche et moi, nous lui donnerons une bonne leçon." C'était leur intention, et en général cela a bien fonctionné depuis que la forêt est forêt et que les enfants sont enfants.Cependant, il arrive que ce soit le loup qui se perde.
Lui qui connaît si bien les raccourcis. Lui qui rend un culte à la lune.
Il arrive aussi parfois que la lune joue à se cacher au plus profond des puis pour égarer ceux qui la suivent. Et puis, dans certains cas, il arrive que les enfants croient être sortis de la forêt, grandissent comme prévu, mais qu'en réalité ils se trompent car ils sont toujours perdus dans la brume. Quand tout cela arrive, mieux vaut se préparer pour le voyage de sa vie."
Àlex Romero
Sociologue et expert en Culture Populaire

Voilà la préface d'une bande dessinée "Le signe de la Lune", sélection officielle Angoulême 2010

Aldea est une région isolée et perdue, ses habitants sont ancrés dans les peurs et les croyances d'un monde ancestral. Dans le décor d'une immense forêt, Artémis, accompagnée de son petit frère, sera au cœur d'un drame qui changera son existence et la confrontera à ses deux plus grandes obsessions : la lune et sa beauté hypnotique, et l'enfant qu'elle voit chaque nuit dans ses cauchemars...
Le signe de la lune est un conte fantastique, noir et fascinant, une œuvre tendre et crépusculaire par Jose Luis Munuera et Enrique Bonet.

J'ai adoré cette BD... je vous invite à la lire si vous la trouvez, c'est magique !

1 commentaire:

Jerry OX a dit…

je ne connaissais pas Alex Romero et je découvre grace à toi ce texte philosophique et fort poétique qui donne à réfléchir pour avancer au mieux dans l'existence .Un sociologue que je lirais avec plaisir !! merci à toi Ange qui passe !! j'éspère que tu vas et que tu passes de bonnes vacances !!

PS: une chanson pour toi :
http://www.wat.tv/video/jerry-ox-acteurs-quotidien-2w3gn_2hh8l_.html